Fratrie : comment gérer les jalousies et rivalités
- Mélody Aknine
- 3 nov.
- 4 min de lecture

L’arrivée d’un petit frère ou d’une petite sœur est un bouleversement majeur dans la vie d’un enfant. Ce qui devait être une “belle aventure familiale” peut parfois se transformer en un tourbillon d’émotions : jalousie, frustration, colère, sentiment d’injustice…De nombreux parents sont surpris par l’intensité de ces réactions et s’inquiètent : “Pourquoi mon enfant devient-il si difficile depuis la naissance du bébé ?”, “Est-ce normal qu’il rejette son frère ou sa sœur ?” Rassurez-vous : ces émotions sont naturelles. La jalousie fraternelle n’est pas un signe d’échec éducatif, mais une étape de développement normale qui, bien accompagnée, peut devenir une formidable opportunité d’apprentissage émotionnel et relationnel.
Problématique : comprendre la jalousie dans la fratrie
La jalousie entre frères et sœurs s’enracine dans un besoin fondamental : celui de se sentir unique et aimé.
Lorsque l’attention des parents se détourne — temporairement — vers un nouveau bébé, l’enfant a l’impression de perdre sa place privilégiée. Il peut alors manifester sa détresse par des comportements régressifs (redemander un biberon, sucer son pouce), de l’opposition (“je ne veux plus de petit frère !”) ou des crises de colère.
Selon Alfred Adler, la dynamique de la fratrie joue un rôle déterminant dans la construction de la personnalité. Chaque enfant cherche à trouver sa place au sein du groupe familial : l’aîné, souvent perçu comme “responsable”, doit apprendre à partager ; le cadet lutte pour exister face à un grand déjà compétent ; le benjamin peut chercher à attirer l’attention par l’humour ou la provocation.
Ces rivalités ne sont donc pas forcément pathologiques : elles participent à l’apprentissage de la socialisation, de la négociation et du respect de l’autre. Mais lorsqu’elles deviennent constantes ou violentes, elles peuvent fragiliser les liens familiaux et impacter l’estime de soi de chaque enfant.
Les recherches en psychologie du développement, notamment celles de Catherine Gueguen et Isabelle Filliozat, insistent sur l’importance du regard parental : un enfant qui se sent écouté et reconnu dans ses émotions vit moins de conflits durables avec ses frères et sœurs.
Conseils pratiques
1. Accueillir les émotions sans les juger
Quand un enfant exprime sa jalousie, il manifeste en réalité un besoin d’amour et d’attention. Plutôt que de lui dire “tu es méchant avec ton frère”, essayez :
“Je vois que tu es en colère, tu aurais aimé que je m’occupe de toi aussi.” Cela l’aide à mettre des mots sur ce qu’il ressent et à se sentir compris. Les travaux de Carl Rogers sur l’écoute empathique montrent que la validation des émotions est une étape essentielle pour apaiser les tensions.
2. Éviter les comparaisons
Comparer les enfants (“regarde comme ton frère est sage !”) crée souvent des blessures invisibles. Chaque enfant doit sentir que son parent le valorise pour ce qu’il est, pas en comparaison à un autre. Il est important de reconnaître les forces de chacun : “Tu as beaucoup d’imagination” ou “Tu es attentionné avec ton petit frère”. Ces petites phrases nourrissent le sentiment d’unicité, un antidote puissant à la rivalité.
3. Accorder du temps exclusif à chaque enfant
Même quelques minutes par jour peuvent faire la différence. Un moment de lecture, une promenade, une activité partagée… Ces temps “en tête-à-tête” permettent à l’enfant de sentir qu’il reste important, même quand le bébé prend beaucoup d’attention. Comme le souligne John Bowlby, fondateur de la théorie de l’attachement, la sécurité affective d’un enfant repose sur la constance de la relation avec ses figures d’attachement.
4. Favoriser la coopération plutôt que la compétition
Invitez les enfants à collaborer : “Pouvez-vous ranger les jouets ensemble ?”, “Aidez-moi à préparer le goûter pour tout le monde.” Les projets communs créent du lien et réduisent les tensions. De même, mettez l’accent sur les moments d’harmonie : “J’ai vu comme vous avez bien joué ensemble tout à l’heure.” La reconnaissance positive est plus efficace que la sanction pour renforcer les comportements coopératifs.
5. Apprendre à chacun à gérer les conflits
Les disputes sont inévitables, mais elles peuvent devenir des occasions d’apprentissage. Montrez-leur comment exprimer leur désaccord sans agressivité : “Je suis fâché parce que tu as pris mon jouet sans me demander.” Les méthodes de communication non violente de Marshall Rosenberg sont très utiles pour enseigner cette posture dès le plus jeune âge.
Un outil pour aider à comprendre la jalousie : Mia et le bébé qui prend trop de place
Pour accompagner les enfants dans cette période délicate, j’ai écrit le livre Mia et le bébé qui prend trop de place. Mia adore passer du temps avec ses parents, mais depuis l’arrivée de son petit frère Noah, tout a changé. Entre pleurs et biberons, elle se sent invisible. À travers son histoire, les jeunes lecteurs découvrent qu’on peut aimer son petit frère tout en se sentant parfois en colère ou triste.
Ce livre, tendre et rassurant, aide les enfants à identifier et normaliser leurs émotions face à l’arrivée d’un nouveau membre dans la famille. Les parents y trouvent aussi des outils concrets pour accompagner cette transition : comment valoriser l’aîné, instaurer des moments exclusifs, ou encore évoquer l’amour parental partagé mais intact.
➡️ C’est un support idéal à lire ensemble pour ouvrir la discussion et renforcer le sentiment d’appartenance au sein de la fratrie.
La jalousie et la rivalité entre frères et sœurs ne sont pas des signes de dysfonctionnement, mais des étapes de développement nécessaires. En apprenant à reconnaître leurs émotions, à partager et à coopérer, les enfants développent des compétences sociales essentielles pour toute leur vie future. Le rôle du parent est d’accueillir, d’accompagner et de poser un cadre sécurisant sans juger. Avec du temps, de la bienveillance et un peu d’humour, ces tensions passagères peuvent devenir des occasions précieuses de grandir ensemble.
Ressources pour aller plus loin
Lectures pour parents :
Catherine Gueguen – Pour une enfance heureuse
Isabelle Filliozat – Il n’y a pas de parent parfait
Faber & Mazlish – Frères et sœurs sans rivalité
Mélody Fellous – Mia et le bébé qui prend trop de place
Livres jeunesse :
Astrid Desbordes – Mon amour
Christine Naumann-Villemin – Le jour où mon frère viendra
Podcasts :
Change ma vie – épisode “Les émotions des enfants”
Parentalité bienveillante – “Aider son enfant à trouver sa place dans la fratrie”
Sources
Adler, A. (1927). Understanding Human Nature. Hazelden.
Bowlby, J. (1969). Attachment and Loss. Basic Books.
Rogers, C. (1961). On Becoming a Person. Houghton Mifflin.
Rosenberg, M. (2003). Nonviolent Communication. PuddleDancer Press.
Gueguen, C. (2014). Pour une enfance heureuse. Les Arènes.




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